Au revoir les filles...
Rien à voir mais j'ai depuis quelques semaines la chance de côtoyer une oeuvre un peu particulière.
Les Terracotta Daughters de Prune Nourry se dressent en effet en pleine halle du 104, armée aux pieds d'argile venues pousser le cri silencieux des orphelines made in China.
Et est-ce parce que c'est la première fois que je me retrouve quasi quotidiennement en tête à tête avec ces 108 figures humaines, toujours est-il que l'installation qui prend fin ce dimanche est devenue en très peu de temps -et c'est le mot- chère à mes yeux...
Dès leur sortie de terre, ou plutôt de leurs caisses de bois, ces étranges poupées ont aussitôt attiré tous les regards des privilégiés qui croisaient leur arrivée.
Des corps sans tête d'abord, qui ne trouvaient leur expression que progressivement et tandis que l'armée se mettait en rangs serrés.
On ne vous ré-expliquera pas ni tout le processus de l'artiste, ni toute la démarche de ces jeunes filles statiques.
Il vous suffira de rechercher Terracotta sur votre moteur d'archéologie et vous trouverez facilement les daughters juste après Guerlain et joli teint.
Leur bonne mine enfin mise en place, il ne leur restait plus qu'à affronter vent et marées humaines, avec tout le stoïcisme requis, et qui ferait pâlir de jalousie les plus émérites des Coldstream Guards.
Imperturbables donc, elles ont connus en quelques semaines à peine, plus de selfies que n'en produirait une pop star en décomposition photo-médiatique.
Et moi, avec le plus de régularité possible, de passer en revue les troupes, enlevant ça et là une toile d'araignée qui leur pendait au nez, leur frottant les yeux emplis de pollen, ôtant d'une épaule une plume de pigeon en priant le ciel qu'elles soient épargnées par les rats volatiles.
J'ignore d'ailleurs si j'avais raison ou tort de le faire: la terre cuite reste friable et vivante, et que cela aussi, et les coups et les fragilités, faisaient peut-être partie de leur vie supra-terreste, avant le sort qui les attend bientôt (1).
Il n'empêche, c'était plus fort que moi.
Les filles étaient plus fortes que moi.
A la lumière changeante de la journée et même sous les feux de la soirée, les prises de vues et les perspectives semblaient à mes yeux se multiplier de manière exponentielle.
Plus je les connaissais, plus grande était ma surprise.
Rien à voir, mais voilà, très égoïstement sans doute, étalée ma modeste rencontre avec huit orphelines chinoises et leur armée de répliques délibérément imparfaites.
Mais tandis qu'elles vivent leur dernières heures parisiennes, il fallait que d'une manière ou d'une autre j'atteste d'avoir croisé durant 72 jours leur route impassible.
Au revoir, les filles...
(1) Après un détour, elles seront enterrées en Chine, et seront exhumées vers 2030, au moment où l 'avortement sélectif en Asie aura atteint un seuil critique, inversant le cours de la nature.