Ceci n'est pas ma suite au Martinez
Il ne faut pas croire: à Cannes, il y a des gens qui bossent.
Pas vous évidemment.
Mais bon, ils y a des gens, dans des hôtels plus petits et plus loin, qui toute la journée se battent pour vendre leurs films, pour obtenir une accréditation, pour trouver une invitation à "La" soirée du jour.
Des gens qui n'hésitent pas à se lever à l'aube pour se précipiter dans les salles obscures pour voir des films qui le sont tout autant.
Des gens qui jettent un "premier regard" ou qui l'attendent.
Des gens qui critiquent tout ce qu'il ont vu ou qui jugent ce qu'ils ne verront jamais.
Bref des gens qui s'affairent ou qui en font.
Des gens qui parlent en américain.
Des gens qui voient passent des journées à l'intérieur et que ça se voit à l'extérieur.
Seul leur nez rouge attestent qu'ils vont bien à pied de l'hôtel au palais en passant par la Croisette pour un rapide croissant.
C'est ce à quoi vous pensez tandis que vous finissez le vôtre.
Enfin, le vôtre, rien n'est moins sûr...
Vous avez ouvert un oeil, celui qui n'a pas la migraine, dans une chambre qui ne ressemble pas à la vôtre, puisque les murs tournent et sont beaucoup plus proches les uns des autres.
Quant à la déco, soit ils ont eu "une nuit pour tout changer", soit vous venez de vous faire opérer d'urgence d'une cataracte et vous voyez enfin clair.
Vous apercevez distinctement un plateau sur la table, et tel un serpent sous hypnose, vous rampez, guidé(e) par l'odeur chaude et amère.
Après une deuxième tasse de café américain, vous êtes prêt(e) à affronter la question du jour:
Où suis-je?
Bon, vous vous souvenez très bien vous être rendus hier soir à l'after de Kung Fu Panda 2, coinçé dans la navette entre un Tigrou au regard perçant et une Cigogne au bec percé.
Vous vous rappelez très bien avoir dansé "Kung Fu Fighting" avec Brad et Angie, mais vous n'êtes plus sur si c'est lui ou elle qui vous a fait un kick pendant que vous rouliez une pelle à l'autre.
C'est le problème, avec eux on ne sait jamais.
Et puis là, c'est le blackout.
Le côté obscur, en tout cas.
Vous vous rappelez vaguement d'un gyrophare, d'un néon qui clignote, sans savoir si il s'agissait de celui des urgences, ou d'une cellule de dégrisement.
Mais une chose est sûre: dans votre hôtel, c'est de la vraie orange pressée, et pas du tanga avec des peaux.
Mais quelle âme charitable (ou intéressée) vous a ramené(e) jusqu'à sa chambre d'hôtel, sans abuser de votre corps (vous êtes toujours dans votre tenue de soirée troisième jour) , et s'est sauvée à l'aube américaine pour aller vendre ou voir un documentaire péruvien sur la torréfaction?
Ce café est vraiment, vraiment dégueu.
C'est quand même hyper sympa de vous avoir laissé son plateau, même si les croissants sont gonflés à l'hélium.
Au pire, ça vous enlèvera votre voix de Jeanne Moreau (vous avez émis un son rauque en vous apercevant dans le miroir en bois cérusé).
Evidemment, vous n'allez pas commencer à fouiller partout dans la chambre, ce ne serait pas poli.
Le mieux c'est encore de s'éclipser rapidement.
Vous prendrez votre douche( et vos quinze aspirines) dans votre suite, il y a aussi des bulles.
Vous sortez donc aveuglé par un soleil de plomb, et vous regrettez à cet instant précis qu'on ne soit pas au cinéma, histoire de créer une nuit américaine, qui serait plus reposante pour vos yeux, et vos céphalées (oui, on peut les cumuler).
Autre mauvaise nouvelles, et très mauvaise celle-ci: de l'hôtel, on voit pas la mer.
Ce qui veut dire que vous en avez minimum pour vingt minutes à pied.
Autant les faire sans chaussures, de toutes façons, tout le monde vous a déjà grillé au feu rouge.
Mais tout ça sera très vite oublié, les festivaliers ont la mémoire courte, eux aussi.
Un film chasse un autre, une after chasse une soirée, et ce matin un panda a tué un chasseur.
Seul problème, pendant les quinze jours à venir, chaque fois que vous croiserez un regard plus appuyé, un sourire crispé, ou un bonjour de loin, vous ne pourrez vous empêchez de penser que c'est lui (ou elle), le bon samaritain de la nuit américaine...