Dries Van Noten: l' homme discret mais certainement pas invisible.
NB: Les Portraits pas chinois expriment une vision subjective des artistes ou personnages dépeints. Ils n'ont aucune valeur biographique, ils sont l'interprétation personnelle de ceux-ci, à la manière d'un dessin griffonné sur le papier.
Dries Van Noten a fêté cette année son 100 ème défilé.
Archives textiles remixées et mannequins historiques défilant tout sourire, un film coproduit par Arte, et une envie naturelle de marquer le coup sans sortir de sa discrétion légendaire.
Voici donc la parfaite occasion pour dresser le portrait d'un homme singulier et indépendant dans un art qui s'est malheureusement conformé et formaté...
Les Enfants Terribles:
Ils sont 6.
Ce n'est pas exactement The Breakfast Club, mais ça y ressemble.
Six d'une même promotion à la désormais prestigieuse Académie D'Anvers.
Ils connurent des bonheurs divers, mais sont à l'époque unis comme les six doigts de pied de Marilyn Monroe:
Dirk Bikkembergs, Ann Demeulemeester, Walter Van Bierendonck, Dries Van Noten, Dirk Van Saene et Marina Yee.
D'avantage qu'un style commun (au delà de l'émergence d'une mode belge avant-gardiste, leurs réalisations sont très différentes), ce sont surtout leurs expériences communes qui les relie, donnant à la mode un story telling inédit.
Face au minimalisme dark d'Ann Demeulemeester, au radicalisme graphique de Walter Van Bierendonck, ou au sportswear sophistiqué de Dirk Bikkembergs, Dries Van Noten va très vite se démarquer par une création plus élaborée et composite, entre décontraction assumée et distinction affirmée.
Portés notamment par le magazine Mode, c'est belge, la nouvelle vague du nord vient chatouiller l'Europe jusque sur les berges de Seine, où les créateurs commencent à défiler à l'aube des années 90.
Le Charme Discret de la Bourgeoisie Punk:
Selon ses propres dires, le vêtement est un outil, et il aime penser que ses utilisateurs l'utilisent pour développer, extérioriser et proclamer leur personnalité.
De ses ancêtres tailleurs, Dries conserve à la fois le souci artisanal du travail bien fait et des lignes strictes, mais il les bouleverse à chaque instant par des influences artistiques (musicales, picturales, cinématographiques, plastiques, ou culturelles au sens global du terme) toujours suffisamment fortes pour brouiller les codes, moderniser les traditions, dépoussiérer les acquis.
Un révolutionnaire tranquille, un punk aristocratique, un gentleman farceur: l'homme Dries Van Noten n'a pas les contours définis de la veste qu'il porte, du chandail qu'il affectionne ou du pantalon qu'il promène dans la ville.
Mais les vêtements qu'il arbore en couches successives sont des indices de sa personnalité riche et évolutive, de sa curiosité intellectuelle et artistique permanente, et de son respect des règles pour mieux pouvoir s'en affranchir.
The Man Who Fell To Earth:
Cette élégance moderne, concrète et inspirée, Dries Van Noten va rapidement la décliner au féminin, dans des collections tantôt flamboyantes, tantôt habitées.
Impossible d'ailleurs de ne pas marier comme des encres se mélangeant accidentellement sur une toile ou un tissu, impossible donc, pour lui de ne pas créer des passerelles entre le masculin et le féminin.
Comme d'autres grands couturiers et créateurs avant lui, mais là où bon nombre renforcent les à priori en tombant rapidement dans le cliché de l'androgyne, il use de toute sa délicatesse pour donner à la femme autant qu'à l'homme confiance et sensibilité, classe et subtilité.
Les coloris se mélangent comme sur une toile de Bacon, les encres se tie and dye comme dans un plan de The Piano, les imprimés et les sujets s'éclatent comme sur une toile de Jérôme Bosch.
The Draughtsman Contract:
Et plutôt que de fêter son centième défilé avec tambours et trompettes, gâteau indigeste et festivités vulgaires, Dries Van Noten, fidèle à lui même a jeté un regard sur les archives qu'il garde précieusement, mais toujours l'oeil tourné vers l'avenir.
Composant cette célébration où se mêlent fleurs du passé et boutons en devenir, à la manière d'un jardinier (son autre grande passion), il a évité le pompeux d'un jardin français trop formel, lui préférant une promenade rafraichissante et vivifiante dans son univers de jardin anglais, un peu comme celui de Williams Morris au manoir de Kelmscott.
Si lui même déclare que les deux disciplines sont opposées en terme de rythme, l'un volatile et soumis à l'air du temps , l'autre soumis aux lois de la nature et de la gravité, il n'en demeure pas moins que la mode et le jardinage ont un trait commun: le cycle, cette boucle temporelle qui se répète inlassablement, jamais tout à fait la même, mais pleine de résonances.
C'est en quelque sorte le contrat moral de Dries Van Noten avec ses fidèles adeptes: continuer de vaincre l'ennui, de dessiner de nouveaux motifs, d'inventer de nouveaux paysages, en visant la sérénité, tout en conservant au fond de soi l'état sauvage...
Discret, mais certainement pas invisible.
Happy Birthday Mr Van Noten.
Stéphane Custers
Les Archives Silencieuses vous propose de redécouvrir chaque jour l'un des cent défilés, et sont à consulter sur le site de Dries Van Noten.
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