Peter et les garçons perdus...
NB: Les Portraits pas chinois expriment une vision subjective des artistes ou personnages dépeints. Ils n'ont aucune valeur biographique, ils sont l'interprétation personnelle de ceux-ci, à la manière d'un dessin griffonné sur le papier.
Quelqu'un qui a pour père un marchand de bonbons ne peut être foncièrement mauvais, me dis-je en survolant la toile au sujet de la mort de Peter Lindbergh, le photographe allemand de mode et de supermodels, d'actrices et de chanteuses, d'étoiles filantes et de légendes vivantes.
Des plages néerlandaises où il passait enfant ses vacances, à celles des Etats Unis où il photographiait les plus belles femmes du monde, Peter Lindbergh aura réussit bien plus que sa traversée de l'Atlantique...
Quelqu'un qui a pour prénom Peter, me dis-je aussi, doit avoir d'une certaine manière gardé une âme d'enfant. Une enfance d'après guerre. Où tout était encore noir et blanc hier, et aspire aujourd'hui à plus de lumière. Une lumière douce, mais lucide (si j'ose le pléonasme), sans fard, sans retouches.
Lindbergh aimait Van Gogh, mais ne s'exprimait que rarement en bleu et jaune. Il découvre la photographie en immortalisant les enfants de son frère.
Ce noir et blanc qui a marqué toute une génération (pour ne pas dire la mienne): celle qui a vingt ans en 1990, et qui débarque dans une vie active trépidante et pleine d'espoirs.
Un Neverland idéalisé, où la beauté des choses fait fuir la laideur du monde. Ou bien le transforme.
Un travail où le style survole les modes et donne le ton, de Vogue à Madonna, de Pirelli à Santa Monica, de Elle à elles toutes, toutes ces femmes en top, en robe, en jupe, en chemise, sans pantalon, déguisées en garçons perdus ou en filles manquées, ou encore nues comme à la naissance.
Un monde où Gianni Versace est vivant, et habille les supermodels qui chantent Freedom! 90 sur un air de George Michael.
Une liberté de la femme encore à gagner, mais qui n'a pas encore versé dans une lutte stérile.
Où les hommes commencent seulement à assumer une part de féminité, ou de leur sexualité.
Un optimisme, une vision positive qui n'exclu pourtant pas un réalisme de fin de siècle où on sent que les choses se compliquent. Une époque que Lindbergh fait plus que traverser, il la marque de son empreinte indélébile sur pellicule argentique. Personne à l'époque n'a encore mis le doigt dans le digital, tout est donc une capture de moment, et pas une capture d'écran. Une époque sans Facebook mais avec des visages, qui se parlent et se répondent, des regards qui ont des choses à dire.
La mort de Peter Lindbergh signifie naturellement la fin d'une ère, où ces bientôt cinquantenaires doivent se débattre avec une nouvelle époque, aux couleurs plus criardes mais pas toujours haute en couleurs, paradoxalement.
Peter Brodbeck aura volé bien plus que des bonbons, il aura kidnappé une partie de la Beauté Majuscule pour la faire sienne.
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Illustration: The Wild Ones, pour Vogue US 1991. Cindy Crawford, Tatjana Patitz, Helena Christensen, Linda Evangelista, Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Karen Mulder et Stephanie Seymour.
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