Le belle boit, même en dormant.
Il était une fois des contes modernes, avant-gardistes, ou surréalistes.
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En prélude à la très prochaine FIAC de Paris, voici un "Quelle Histoire" spécial, inspiré par l'installation de Vincent Olivet "Pas encore mon Histoire" (2007), qui avait trouvé sa place dans les jardins des Tulleries lors de la célèbre foire, en 2009.
C'est à l'aube qu'Aurore a enfin ouvert les yeux.
Il suffisait de lui faire un smack, ce qu'a fait Raymond, 66 ans, retraité et passionné de pêche à la mouche.
Forcément très en forme, elle n'a pas traîné à se mettre en route.
- J'ai une faim d'ogresse et une soif de princesse....
Pas du tout effrayée par la circulation, elle s'est juste étonnée:
- N'y a-t-il donc plus de pauvres, que tout le monde circule en carrosse?
Après un détour par l'avenue Montaigne, pour changer de tenue, elle y a pris un café en terrasse.
La table juste à côté de la mienne, sur la célèbre avenue.
- 7 pièces d'or pour cette boisson amère? On a dû en faire des guerres et des galettes aux Sarazins pour devenir aussi riches!
Qu'on me donne du vin, sur le champ!
- Du champ' et du vin, bien Mademoiselle! dit le garçon.
- Oui, les Champs, c'est la parallèle, ajoutai-je.
- Mais dites moi, manant, qui sont ces vilaines femmes qui paraissent deux fois leur âge, et surtout quelles mouches les ont piquées pour qu'elles soient aussi gonflées, comme figées par le sort d'une noire magicienne, et qui ressemblent tant à des canards de barbarie?
- Euh, c'est la mode, dis-je ennuyé.
- Et tous ces gens qui prient sur des bibles minuscules?
- Ils envoient des textos.
- Cessez ce charabia incompréhensible! Plus personne ne parle donc le françois de nos jours?
- Non. En tout cas, s'ils le parlent et l'écrivent, c'est de manière tout à fait approximative.
- Ah, enfin une bonne nouvelle! Mon père disait que pour maîtriser son peuple il faut le maintenir dans l'ignorance.
- La télé s'en charge.
- Une enchanteresse sans doute, je serais ravie de faire sa connaissance.
- D'ici on voit la tour du château fort de TF1. Mais ils sont nombreux à se livrer une guerre sans merci.
- Et ça alors, ça sert à quoi?
- C'est la tour Eiffel, ça ne sert à rien, mais c'est un objet de curiosité.
- Il y en a qui ont du temps à perdre.
- Et vous savez de quoi vous parlez.
- Pardonnez-moi?
- Rien.
- En tout cas, ces galères où les esclaves ne rament pas sont vilaines vilaines vilaines.
- On appelle ça des bateaux mouches. C'est pour les touristes.
- Les?
- Les gens qui ont des vacances, des congés payés.... c'est un droit pour les travailleurs.
- Kuwa? Les travailleurs ont des droits?
- Oui mais plus pour longtemps, rassurez-vous.
- Et les femmes? Sont-elles libres et indépendantes?
- La combat continue.
- Ah tant mieux, voilà une guerre sainte. Parce que les hommes oublient que dans notre société matriarcale, c'est nous qui portons la culotte après l'avoir reprisée. Cela dit, ça gratte un peu vos hauts-de-chausses là...
- Leggings.
- Oui, on dirait du Breton. Comment vont-ils, ces perfides de l'Albion?
- Ils vont bien, ils ont envahi l'Amérique. (elle boit aussi mes paroles).
- Et les Espagnols alors?
- Au point mort. c'est pas la fête, disons.
- Ah ça pour ça, les très catholiques ont toujours eu des hauts des bas. On appelle ça les montagnes hispaniques.
- Maintenant on dit les montagnes russes.
- Qui? (elle picole sérieux).
- Trop long à expliquer.
- Et on apprend toujours le latin et le grec à l'école?
- Non, plutôt la self défense. Et on ne va pas parler de la Grèce, ça risque de vous déprimer.
Ah bin, non, la dépression, vous ne connaissez pas non plus.
- Vous devez être très savant pour utiliser tant de mots alambiqués. Vous êtes prêtre?
- Non, pas exactement.
- Que faites vous?
- Je suis comédien, un saltimbanque. Un ménestrel, un troubadour.
- Dieu du ciel, ne devriez vous pas être en guenilles et quémander? Ou prédire la fortune déguisé en dame de bonne aventure?
- Oui, je fais aussi un peu de cinéma, de temps en temps. Et j'écris.
- Ah vous êtes instruit donc. Je n'ai pas cette chance. Par contre je file très bien la laine, enfin, quand je ne me pique pas, bien sûr.
- J'ai quelques amis mandarins que cela pourrait intéresser.
- Il faudra que vous me fassiez visiter la ville, et surtout les bas fonds, j'adore m'encanailler. (elle est bourrée).
- Comptez sur moi.
- Par contre il faudra que j'use d'un pseudonyme, je ne tiens pas à être reconnue.
- On évitera Disneyland.
- Alors comment je vais m'appeler?
- Lindsay Lohan, ça vous va?
- Parfait, allons-y sur le champ. Il nous faut un carrosse. (elle sort son or et règle l'addition, en laissant la monnaie).
- Je vais en appeler un.
Et nous voilà partis pour une folle journée, de Notre Dame au Marais, de H&M au BHV, de Versailles à Montmartre, et de chez Colette au Baron.
On a fini au Silencio, tellement elle ne pouvait plus parler, ivre et épuisée.
Mais elle a de la ressource:
- Comme un ouragan, qui passé sur moi, la vodka a tout emporté!
- Je vous ramène à votre lit?
- Oui, je crois que je vais dormir quelques années. Une petite sieste de cent ans me fera le plus grand bien. Votre monde est trépidant, paradoxal, étouffant, raffiné, rapide, tellement rapide, qu'on a l'impression de passer à côté de sa vie.
- Je vous rassure, ce n'est qu'une impression.
Je l'ai donc conduite dans son lit, bordée.
Je lui ai même raconté une histoire pour l'endormir:
Il était une fois une princesse qui avait dormi cent ans.
Elle ouvrit les yeux en l'an de grâce 2102:
- Quels sont ces serpents qui volent au dessus de nos têtes?
- N'ayez crainte, lui dis-je, ce ne sont pas des missiles, juste l'aérométro...
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